POURQUOI CETTE ATTIRANCE POUR LA NORMANDIE ?

1/ LES CONDITIONS CLIMATIQUES

Alors que les classiques emmenaient leur public vers la Méditerranée et loin de la France de l'époque, les naturalistes afin de s'opposer à cette tradition représenteront plutôt des paysages septentrionaux.
On perçoit bien ici, grâce à cet élément, les attraits géographiques et climatiques de la côte normande pour cette génération de réalistes. On peut d'ailleurs rappeler qu'il fallu à Monet, lors de son premier séjour sur la riviera, à Bordighera, un travail important pour obtenir les effets voulus, tant les couleurs étaient différentes de celles de sa région natale.

2/ LES CONDITIONS HISTORIQUES

A) Le mouvement naturaliste

Si Monet choisit, dans les années 1860 de peindre les paysages normands, c'est avant tout pour suivre le mouvement anti-romantique amorcé par les artistes français du 19ème siècle.
En effet, depuis 1830, tous les artistes d'avant-garde prônaient l'abandon du classicisme au profit du naturalisme.
Ce mouvement a pour but, selon son théoricien et chef de file Emile Zola de consacrer l'art au vrai plutôt qu'au beau, de reproduire la nature le plus objectivement possible.

Il fallait donc, pour ces peintres, se détourner de la tradition méditerranéenne classique représentée par Nicolas Poussin et Claude Lorrain pour lui préférer le paysage hollandais du 17ème siècle ou la peinture britannique du début du 19ème siècle. Privilégiant cette tradition septentrionale, les naturalistes du milieu du siècle éliminent certains sujets qui ont caractérisé la peinture de paysage française avant 1830 (Les événements historiques ou mythologiques, les batailles navales, etc...). Par la même occasion, ils rejettent souvent les effets théâtraux de l'art romantique et choisissent plus volontiers des sites français en se libérant des exigences du travail en atelier.

Il y a, a cette époque chez les artistes, une volonté de se démarquer des peintres anecdotiques qui envahissaient les salons et les galeries. C'est pour cette raison que les personnages de Monet sont rigides et nous apprennent peu de choses sur eux-mêmes.

Pour satisfaire à tous ces objectifs, La côte normande était une des mieux appropriées.

B) Le thème du tourisme

Depuis qu'en 1854, Gustave Courbet avait représenté des vacanciers dans "Le bord de mer à Palavas" (Montpellier, musée Fabre), le thème du tourisme apparait peu à peu sur les toiles. Il faut toutefois attendre 1869 pour que Manet, alors à Boulogne, représente des clients de la station et pour que Berthe Morisot place un vacancier dans son "Port de Lorient" (Washington, National Galery).
C'est en 1867 que Monet aborde ce thème dans son oeuvre, alors qu'il passe l'été à Ste-Adresse, fameuse station balnéaire.
Dans "La plage de Ste-Adresse", notre oeil est presque immédiatement entraîné vers le minuscule couple en qui nous reconnaissons des touristes grâce aux vêtements blancs et rouges de la femme, à son chapeau de paille enrubanné et à la lunette de l'homme. En effet, la présence de ces deux personnages transforme une scène traditionnelle de bord de mer en scène moderne, comme dans "Régates à Ste-Adresse" où figurent une dizaine de vacanciers.
Ce dernier tableau dégage une atmosphère de loisir, beaucoup plus que l'autre, qui fait penser à un jour de semaine ordinaire (les voiles aux couleurs sombres évoquent des embarcations de pêche et non des bateaux de plaisance). La régate a peut-être été organisée par la chambre de commerce ou le yatch-club local pour divertir les visiteurs ; Quoiqu'il en soit, l'origine britannique de ces compétitions, le caractère anglo-saxon des règlements et de la terminologie donnent une idée de l'importance des visiteurs d'outre-Manche dans le développement du tourisme normand.

Ces éléments nous montrent bien que les vacanciers peints par Monet annoncent un tournant décisif vers des sujets contemporains qui caractériseront la décennie suivante chez les tous les impressionnistes.

C) Histoire de la marine

En se rattachant à la grande tradition de la peinture de marines, Monet rejoignait des artistes plus âgés, comme Edouard Manet qu'il connaissait et admirait.

Ce thème de la mer se rencontre bien dans les toiles peintes au Havre et notamment dans "Régates à Ste-Adresse" où les navires représentent l'intense trafic du port. Robert L, Herbert, auteur de Monet en Normandie, nous offre, à ce sujet, une remarque clairvoyante :
"Au milieu du siècle, Le Havre avait dépassé Marseille part le volume de son commerce, si bien que la préférence de Monet pour le naturalisme du nord de l'Europe (par opposition à la tradition classicisante) trouve un parallèle intéressant dans le déplacement économique de la Méditerranée vers la Manche. La biographie du peintre s'inscrit véritablement dans l'histoire sociale de la France".