TRAVAIL SUR UN LIEU, UNE RESIDENCE DE L'ARTISTE.

Monet et trois villes de la côte normande.

INTRODUCTION

C'est dès 1857 que commence la véritable carrière de Claude Monet. Il rencontre cette année là Eugène Boudin, un artiste encore un peu gauche et qui n'a pas encore atteind la pleine mesure de son talent. Toutefois, il a acquis la certitude profonde que la nature et le plein-air sont la source à laquelle le "pur artiste" doit boire. D'abord réticent, le jeune et talentueux caricaturiste accepte d'accompagner le peintre lorsqu'il va faire ses esquisses autour du Havre.

"Je n'ai oublié que c'est vous qui, le premier, m'avez appris à voir et à comprendre" (extrait d'une lettre de Monet à E. Boudin, 22 Août 1892).

A cet enseignement viendra bientôt se greffer celui du peintre hollandais Johann Barthold Jongkind (1819-1891) qu'il rencontre au Havre en 1862 à son retour du service militaire en Algérie. Celui-ci possède une longue carrière de paysagiste derrière lui, et a recours, pour modifier les irrégularités de la nature, à la perspective et à la représentation de la terre, du ciel et de la mer sur un même plan.

A partir de 1864, Monet travaille avec ardeur, stimulé par l'activité de Jongkind et le récent succès de Boudin grâce à des peintures de vacanciers réalisées sur les plages de Normandie. De plus, le peintre se trouve, à cette époque, à la tête d'un nouveau groupe de jeunes amis : A.Renoir, A.Sisley, F.Bazille de l'atelier Gleyre.

1/ Les débuts à Ste-Adresse, 1864-1867.

En 1864, Monet peint plusieurs vues côtières à Honfleur et à Ste-Adresse, en préparation de sa première grande exposition. Il présentera au Salon de Paris deux paysages marins : "L'Embouchure de la Seine à Honfleur" et "La pointe de la Hève à marée basse". Certains critiques accueillirent favorablement ces deux oeuvres parce qu'ils y retrouvaient une spontanéité anti-romantique qui rappelait l'avant-garde des paysagistes d'alors : Jongkind, Boudin, Courbet, Daubigny et Millet. Tous participaient au développement du naturalisme, mouvement qui, depuis 1830, se détournait de la tradition classique.

De 1864 à 1867, il représente, au Havre et à Honfleur des navires en mer, des vues de la côte et des bateaux de pêche.

L'année 1867 est l'une des plus fructueuse qu'ait passé Monet au Havre. Les toiles représentent pour beaucoup d'entre elles des vues de Sainte-Adresse, station balnéaire voisine de la ville. Monet y passe cette année là l'été chez sa tante Marie-Jeanne Lecadre dont il connaît bien la villa pour avoir grandi à Ingouville (entre le centre du Havre et Ste-Adresse).
Il y peint quatre oeuvres principales : "Ste-Adresse", "La plage de Ste-Adresse", "les régates à Ste-Adresse" et "Terrasse à Ste-Adresse" qui constituent des réactions neuves au littoral normand. Prises ensembles, elles résument les divers dialogues qu'un vacancier peut nouer avec un paysage local et ses visiteurs.

En 1868, Monet envoya au Salon d'immenses compositions du Havre. La première, disparue aujourd'hui, fut acceptée mais l'autre fut rejetée. Le jury a peut-être rapproché cette toile et son traitement en larges coups de l'oeuvre d'Edouard Manet, qui avait présenté plusieurs paysages marins lors de son exposition organisée à Paris en 1867.

A la fin de cette année, Monet étendra son territoire à deux villes proches du Havre : Fécamp et Etretat. Il est plus tard souvent retourné à à Ste-Adresse car il pouvait y voyager à moindre frais, mais surtout renouer avec la connaissance intime qu'il en avait.

2/ Le premier voyage à Etretat, 1868-1869.

L'année qui suit la saison à Ste-Adresse, Monet travaille à Paris et, dans ses environs, mais il retourne sur la côte au cours de l'été 1868 et séjourne au Havre.
Durant cette période, Camille s'installe d'abord à Fécamp puis à Etretat, toujours boudée par la famille.
A l'automne 1868, le peintre s'établit pour plusieurs mois à Etretat. Il connaît déjà la ville, mais c'est le premier séjour prolongé qu'il y fait.

Seuls deux paysages marins subsistent de cette campagne : "Grosse mer à Etretat" et "La porte d'Amont, Etretat".

Dans "Grosse mer à Etretat", les principaux éléments sont dessinés sous formes de contours épais et sommaires. La falaise est traitée avec brusquerie. La mer agitée semble plus modelée que la falaise, car ses vagues successives dessinent un mouvement convaincant. Pourtant, elle furent peintes à une rapidité comparable. Le groupe de personnages du premier plan est très important pour le tableau car il nous donne une échelle pour mesurer la force des vagues et nous rappelle que nous sommes à proximité d'un lieu peuplé. Monet nous met ainsi dans la peau de l'initié qui découvre un cadre sans y rencontrer le moindre visiteur, la situation idéale dont rêve le touriste.

La deuxième toile : "La porte d'amont à Etretat" est, elle aussi, intéressante.
Les coups de brosse de Monet attirent l'attention sur eux-mêmes et sur les gestes de l'artiste ; à Etretat, au milieu de la première décennie de son activité mature, Monet contribua en effet au développement de cette caractéristique essentielle qu'est la touche apparente, qui semble être une nouvelle manière de capter la spontanéité de la nature. En effet, l'impression que celle-ci n'est ici qu'un artifice du peintre renforce le caractère romantique de la scène, car notre sensibilité est stimulée à la fois par cette remarquable formation géographique et par la manière dont nous ressentons les émotions de l'artiste face à elle.

C'est l'été suivant, en 1870, que Monet part pour Trouville.

3/ Trouville, 1870

Au début de l'été 1870, Monet retourne sur la côte normande après une année passée près de Bourgival, au sud-ouest de Paris, avec Camille et Jean. Avec son vaste front de mer, Trouville était plus grandiose que celui de Ste-Adresse ou d'Etretat, et ses grands hôtels permettaient d'accueillir une clientèle riche et cosmopolite. A l'époque, la saison à Trouville n'était qu'un prolongement de la vie parisienne.

Huit des neuf toiles de Trouville ont pour sujet des vacanciers, pourtant, elles ne ressemblent en aucun cas à celles réalisées dans les deux autres stations balnéaires. Chaque fois, Monet place une jeune femme sur fond de plage et il est clair que Camille en est le modèle.

Il peint "La plage de Trouville", "l'hôtel des Roches-Noires à Trouville", "L'entrée du port de Trouville", "Camille sur la plage de Trouville "... à certains égards ces oeuvres rappellent les baigneurs Parisiens peints à Bourgival, dans la mesure ou les loisirs suburbains et ceux de la côte sont alors des sujets résolument modernes. De plus, la femme nous frappe par son air de Parisienne. Placée provisoirement dans ce contexte naturel, elle ne s'amuse pas sur la plage ou dans l'eau, mais elle se contente de poser comme une bourgeoise aisée. Là encore, comme il l'avait fait dans "Terrasse à Ste-Adresse", Monet a construit une scène dont le caractère idéal est opposé à ses propres difficultés matérielles. Il reprend ainsi les habitudes de la bourgeoisie moyenne où les hommes croient rehausser leur statut en représentant leur épouses magnifiquement vêtues au milieu de paysages divers. L'ombrelle de Camille évoque elle aussi cette conception "décente" du loisir, car elle est destinée aux femmes des classes moyennes et supérieures afin de les protéger de la lumière du soleil.

En représentant ainsi la société de la plage, Monet n'innove pas complètement, même s'il entend trouver sa place dans un courant résolument moderne.

Mais dès le mois de juin, des rumeurs de guerre contre la Prusse circulent qui décident peut-être Monet à se marier afin de diminuer ses risques d'être mobilisé. Alors que la guerre se poursuit, le 9 septembre, Monet essaie de trouver de l'argent au Havre et réussit à s'embarquer pour Londres vers la fin du mois. L'artiste échappera à de nombreux événements secouant la France pendant son absence car il restera plusieurs mois à Londres puis voyagera en Hollande. Ce n'est qu'en 1871 que les Monet s'établiront à Argenteuil.